Vous attendez un bébé ou vous êtes jeunes parents. Au cours de ces neuf mois, vous vous êtes démenés pour passer en revue les préparatifs de la naissance : berceau, sac à langer, trousseau de maternité, mobilier de chambre, tissus doux, couleurs pastel… Il en est un autre, qui n’est pas d’ordre matériel, qui demande à mûrir dans la tête…ou plutôt, dans le cœur : « Rien n’est plus beau que le lien enfant-parent ». Quelle magnifique promesse de bonheur ! Que faire, que dire, que penser pour que cet adage reste toujours vrai lorsque votre enfant grandira, cassera ses premières assiettes et que la famille s’élargira peut-être ? S’il n’y a pas de mode d’emploi pour devenir parent, il y a des attitudes dont on est sûr qu’elles conduiront à une relation dégradée entre le parent et l’enfant. Ne pas oser le bonheur en est une et c’est d’elle dont nous allons parler.
Tout le monde aspire au bonheur. Tout le monde souhaite être heureux et voir ses enfants le devenir plus encore. Pour autant, ressent-on un bonheur de vivre profond et durable à la pensée de nos propres parents ? Toutes les réponses sont possibles entre le oui et le non. Si l’on souhaite que nos enfants à tout âge se sentent bien en pensant à nous, que faire ou ne pas faire ? Si l’on souhaite faire évoluer l’extase merveilleuse de la naissance à une relation saine et forte avec son enfant au fil des ans, comment s’y prendre ? Parce que le chemin importe plus que l’arrivée, c’est aujourd’hui et maintenant que se joue l’avenir de votre relation enfant-parent. La constance d’un avenir heureux repose sur sa propre capacité à faire sauter un verrou dans le cœur : s’autoriser à vivre libre et heureux. Sur ce point, les perspectives diffèrent selon que l’on est femme ou homme.
Du point de vue de maman
« Attention, tu va le gâter à le tenir dans les bras tout le temps comme ça ! », « N’écoute pas son cinéma, c’est la porte ouverte à tous les caprices ! », « Laisse-le pleurer », « Tu dors avec ton enfant ? Va consulter. », « Non mais tu viens de lui donner le sein ! », « Punis-le, c’est pour son bien. », « l’enfant-roi », « l’enfant-tyran », « pour qu’il marche droit », « une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne » et la liste est longue de ces mille et une étiquettes et injonctions répétées aux jeunes mamans, tant la pensée de les savoir libres et heureuses était, et le reste aujourd’hui dans une certaine mesure, insupportable à la société. Inlassablement entendues depuis la tendre enfance, les attentes sociétales en matière de maternage altèrent profondément le rapport qu’entretiennent les femmes avec leur féminité. Se plier à ces normes (dont l’obsolescence est démontrée par les neurosciences affectives et sociales) revient à se faire violence profondément, par sens du sacrifice, par crainte de rejet, d’exclusion, d’abandon. Combien de générations de mères les ont-elles subies ? Sur un siècle, le décompte se chiffre à des dizaines de millions. Quel gâchis ! L’éducation sexiste des filles encore aujourd’hui hérite d’un passé extrêmement lourd où seule était permise la soumission d’une épouse à son mari il n’y a pas si longtemps que cela en France.
Or la nature prédispose le cerveau humain à la sociabilité, à la rencontre avec les autres. Animés par le désir d’être écoutés, compris, aimés et reconnus pour ce que nous sommes, nous souhaitons entretenir des relations harmonieuses et pacifiées avec les personnes de notre entourage. Grâce aux capacités empathiques innées dont nous sommes dotés à la naissance, les émotions de l’autre résonnent en nous : « Il a été montré, en effet, que le simple fait d’écouter quelqu’un parler active, dans notre cerveau, les mêmes zones que dans le sien ». Cette prédisposition à l’empathie suscite des comportements altruistes, en témoigne la tendance naturelle à vouloir consoler la peine de l’autre.
De la même manière, la nature a rendu parfaitement insupportables les pleurs d’un enfant _ceux-ci pouvant atteindre la centaine de décibels_ de sorte que de l’attention soit apportée et des soins prodigués au nouveau-né dont la survie dépend entièrement de l’adulte. S’il est possible de nier ce que l’on ressent, on ne peut empêcher les émotions de s’inviter dans notre corps. On ne peut que les accueillir, les sentir prendre forme, les regarder s’en aller. Rien ne peut empêcher l’instinct maternel, comme l’instinct paternel, de résonner en nous. Par « instinct » j’entends non pas une forme de fatalité qui inciterait à se laisser aller au gré des événements sans se prendre en charge mais une écoute attentive de ce qui se passe en son for intérieur : « Qu’est-ce que ça me fait ? Mal ? Très mal ? Pas du tout ? Est-ce autre chose ? » Cet instinct-là vous parle. S’il se manifeste parfois de façon évidente, il faut souvent se poser, prendre de longues respirations, abaisser son rythme cardiaque, avant de pouvoir l’entendre. Si votre instinct vous dit « Prends-la dans tes bras », « Berce-le de tendresse », « Ouvre-lui ton cœur… », écoutez-le, il vous fera un bien fou ! Jeunes mamans, osez goûter à ce bonheur inestimable de câliner sans modération votre bébé, de le prendre dans vos bras autant qu’il vous plaira, de le bercer aussi souvent que cela vous enchante, d’effleurer à vous engourdir les doigts sa peau douce et chaude avec la douceur d’une plume de duvet, de le gaver d’amour nuit et jour si le cœur vous en dit… La seule limite se trouve dans le non-consentement de votre bébé, c’est tout.
Votre bonheur ne saurait être entier s’il n’était pas partagé. Maman, papa, bébé tous les trois pelotonnés au coin du feu par une pluvieuse soirée d’automne, confinés dans le bonheur, vous entendez-vous ronronner de plaisir ? L’intensité de l’instant présent fait-elle vibrer en vous le goût de vivre ? Il se peut que, vu de l’extérieur, le bonheur gêne, trouble, dérange, agace, voire horripile. Auquel cas, c’est en effet un problème… mais pas le vôtre.
Du point de vue de papa
Comme pour les femmes, le concept du bonheur va totalement à l’encontre l’archétype masculin de la virilité. Qu’est-ce qu’être un homme aujourd’hui ? « Fais pas ta meuf », « Allez, prouve-le que t’es un homme ! », « Retourne pleurer chez ta daronne », cacher ses faiblesses, jouer les durs, paraître invincible même quand tout va mal, nier ses émotions (sauf l’agressivité), prendre des risques à contrecœur, retenir de se confier, montrer « qu’on en a ». Ça vous parle, jeune papa ?
En réponse à ceux qui regrettent le temps de la virilité magnifiée, la littérature académique, les documentaires, les médias et divers acteurs de la société civile s’emparent désormais du sujet de la masculinité. Tous dénoncent la toxicité mentale aigüe que subissent les hommes se conformant à la norme de virilité, cet idéal impossible à atteindre, source de frustrations, de honte, de déni de soi, de dépression, d’addictions, de violence envers eux-mêmes et envers les autres. Dans son manuel d'éducation antisexiste pour des garçons libres et heureux, Aurélia Blanc illustre bien les vraies souffrances, « sous ses dehors triomphants », que la virilité génère : Si des « associations font aujourd’hui campagne sur ce terrain », écrit-elle, « ce n’est pas au nom de l’égalité ou de la lutte contre le sexisme. Non, si elles tentent d’amener les hommes à parler de leurs états d’âme, c’est pour prévenir les suicides. Et pour cause : en Grande-Bretagne, c’est aujourd’hui la première cause de mortalité chez les hommes de moins de 34 ans. C’est aussi le cas en Australie, chez les hommes de 15 à 44 ans. La tendance est la même en France, où les suicides font plus de morts que les accidents de la route. Chaque jour en moyenne, 25 personnes mettent fin à leurs jours : parmi eux, 75% sont des hommes. Et si les causes sont multiples, le rapport qu’entretiennent ces hommes avec leur masculinité n’est pas étranger à ces passages à l’acte. »
Se libérer peu à peu de l’archétype viril est donc le premier pas qu’un jeune père puisse faire, sans pour autant douter de sa masculinité, sur le chemin de son propre bonheur. Il en va de la bonne entente avec sa conjointe, d’un avenir radieux avec ce petit être à venir ou nouveau-né et enfin de sa réconciliation avec la société pour s’y épanouir au mieux.
Hautement contagieux, le bonheur se transmet de père en fils, de mère en fille par le jeu des neurones-miroirs, l’emprunte biologique de ce que l’enfant observe de ses parents. Les neurosciences affectives et sociales ont démontré depuis plusieurs années déjà les conséquences délétères du système de punitions et récompenses, aussi appelées VEO pour violences éducatives ordinaires, sur le développement cérébral de l’enfant. À l’inverse, le maternage et _osons le dire_ le paternage favorisent l’affection, la tendresse, le bonheur.
L’enfant reproduit nos paroles, nos actes, nos pensées, les non-dits aussi, notre manière d’être. Alors si vous voulez atteindre le bonheur en famille, croquez dans celui de vivre à pleine dents !
Estelle Sommeiller
Animatrice/Rhône
atelierdesfutursparents.rhone@gmail.com